Qu'est-ce que la théorie du voile d'ignorance chez le philosophe Rawls ?
Cette théorie déployée en 1971 a peut-être bien mal vieilli
La théorie du voile d'ignorance, développée par John Rawls dans son ouvrage Théorie de la justice publié en 1971, est un concept philosophique central pour réfléchir à la justice sociale. Elle repose sur une expérience de pensée où des individus, placés derrière un « voile d'ignorance », doivent concevoir les principes qui gouverneront leur société sans connaître leur propre identité ni leur position sociale. Cette approche vise à garantir l'impartialité et à éliminer les biais personnels, en s'assurant que les décisions prises bénéficient à tous, notamment aux membres les plus vulnérables de la société.
Définition et mécanisme
Le voile d'ignorance implique que les individus ignorent des éléments clés de leur identité, tels que leur race, leur classe sociale, leur genre, leur niveau de richesse, leur intelligence, leur orientation sexuelle, et même leur conception du bien. Cette ignorance est conçue pour créer une « position originelle », une situation hypothétique où tous sont égaux et où les décisions sont prises sans influence d'intérêts personnels. Comme le souligne une source, « le voile d'ignorance est une méthode pour établir la moralité d'un problème qui s'appuie sur l'expérience de pensée consistant à se mettre dans une position originelle et à faire abstraction de ses goûts, ses attributs et sa position dans l'espace social » .
Le processus vise à atteindre ce que Rawls appelle un « équilibre réfléchi », où les principes choisis s'alignent sur nos jugements considérés, en équilibrant théorie et intuition morale. Cette méthode s'inscrit dans une tradition contractualiste, influencée par des penseurs comme Thomas Hobbes, John Locke, et Emmanuel Kant, et formalisée également par John Harsanyi.
Principes de Justice déduits
Sous le voile d'ignorance, Rawls soutient que des individus rationnels choisiraient deux principes fondamentaux de justice, comme détaillé dans plusieurs sources. Ces principes sont :
Le principe de liberté : Chaque personne a un droit égal aux libertés fondamentales les plus étendues, compatibles avec des libertés similaires pour tous. Par exemple, cela inclut des droits comme la liberté d'expression ou le droit de vote, tant qu'ils ne limitent pas ceux des autres. Une source précise que « chaque citoyen doit avoir accès aux mêmes libertés, et la liberté de chacun doit être compatible avec la liberté des autres membres de la société » .
Le principe de différence : Les inégalités sociales et économiques sont acceptables uniquement si elles répondent à deux conditions :
(a) Elles doivent être au plus grand bénéfice des membres les moins avantagés de la société. Par exemple, un salaire plus élevé pour certains pourrait être justifié s'il améliore indirectement la situation des plus pauvres, comme en finançant des services publics.
(b) Elles doivent être attachées à des positions et des fonctions ouvertes à tous sous des conditions d'égalité des chances. Cela signifie que les opportunités, comme les emplois bien rémunérés, doivent être accessibles équitablement. Une explication précise que « certaines différences peuvent être tolérées dans une société juste, à condition que les fonctions qui procurent des avantages soient accessibles de la même manière à tous » .
Ces principes reflètent une logique de « maximin », où l'on cherche à maximiser le bien-être du pire scénario, c'est-à-dire celui des moins avantagés, car derrière le voile, chacun pourrait se retrouver dans cette position.
Contexte historique et philosophique
Rawls a développé cette théorie en 1971, une période marquée par des tensions sociales comme la guerre du Vietnam et les mouvements civiques aux États-Unis, ce qui a contribué à sa réception comme une réponse aux questions de justice sociale. Son ouvrage a été traduit en 23 langues et reste influent en philosophie, économie, et sciences politiques. Comme le note une source, « il est impossible de se plonger dans la philosophie politique du XXe siècle sans prendre en compte l'œuvre de John Rawls » .
La théorie s'appuie sur une vision contractualiste, où la société est vue comme une entreprise coopérative où des conflits d'intérêts nécessitent des principes de justice équitables. Elle se distingue du utilitarisme, que Rawls rejette pour ne pas distinguer suffisamment entre les individus, privilégiant plutôt une approche égalitariste.
Critiques et controverses
Malgré son influence, la théorie du voile d'ignorance n'est pas exempte de critiques. Certains, comme des thèses académiques, arguent qu'elle est trop idéaliste et difficile à mettre en œuvre, car ignorer complètement ses propres caractéristiques et préférences est pratiquement impossible. Une source mentionne que « fonder la justice sur l'idée du voile d'ignorance est une entreprise tant vaine que problématique, notamment en raison de l'impossibilité de dériver les deux principes de Rawls et de soutenir une position égalitaire » . D'autres soulignent que cette approche pourrait ne pas tenir compte des différences réelles, comme l'âge, le sexe, ou les capacités innées, rendant son application complexe dans des contextes réels.
Influence et applications
La théorie a eu un impact significatif, servant de base pour développer des procédures objectives en politique et en économie. Elle est souvent utilisée pour justifier des politiques sociales visant à réduire les inégalités, comme des systèmes de redistribution ou des politiques d'égalité des chances. Une source note que « les idées de Rawls ont aussi du poids chez les économistes, les politologues, les sociologues ; elles sont souvent utilisées comme base argumentative pour la prise de décision politique » .
En conclusion, la théorie du voile d'ignorance de John Rawls offre un cadre théorique pour concevoir une société juste en éliminant les biais, mais elle reste sujet à débat en raison de son caractère idéaliste et de ses défis pratiques. Elle continue néanmoins d'inspirer des réflexions sur la justice sociale et l'égalité.